mercredi 28 novembre 2012

mardi 6 novembre 2012

La fée des brouillards


2 Octobre - Arrivé ce soir à R. Hôtel de province typique. Bled paumé à quinze km du chantier. Impossible de trouver une chambre plus proche. Coincé ici pour 4 semaines. Espérons qu'il y a de la femme.

3 Octobre - Il était temps que j’arrive. M. pas du tout à la hauteur. Chantier en retard. Tout reprendre en main. Ce sera plutôt 6 semaines.

4 Octobre - Manque de femelle. L’hôtelière est barbue. Suis en manque ! Cuisine soi-disant “familiale”. Traduire : piteuse.

5 Octobre - Divine surprise. Blondinette, soubrette, fait aussi le service au restaurant. Adorable. J’attaque ! M. viré. Bon débarras.

8 Octobre - Travail par dessus la tête. En allant acheter cigarettes, ai croisé brune mystérieuse. Très belle femme. À lunettes, donc une cochonne. L’ai abordée. Échec. Je l’aurai à tout prix. La blondinette va bientôt passer à la casserole : lui ai dit que j’étais célibataire, que j’étais tombé amoureux d’elle. Cette cruche ne marche pas, elle court.

11 Octobre - Intempéries. Coincé depuis deux jours sans pouvoir avancer. La blondinette se fait prier. Elle parle de mariage ! Que ces filles de province peuvent être naïves !

12 Octobre - Grand beau temps. Au travail !

15 Octobre - Ai revu la brune mystérieuse. Elle a daigné m’accorder un sourire. Attends un peu, tu y passeras toi aussi. Ai demandé à la gourdasse qui vend les cigarettes si elle connaissait son nom. Réponse : “Ne vous en approchez pas, c’est la fée des brouillards.” Texto ! Et pas de second degré : elle a dit ça sérieusement. Pays arriéré. Impensable.

18 Octobre - Victoire ! J’ai eu la blondinette. Elle a tenu ses promesses. Fraîche et douce. La flétrir fut un régal.

21 Octobre - Ai suivi la fée des brouillards. Elle ne se déplace qu’à pied. Curieux. A l’air pourtant très “grande bourgeoise”, enfin façon province. L’ai perdue sans comprendre comment.

23 Octobre - Blondinette m’ennuie. Elle est vraiment trop gentille.

24 Octobre - Le chantier avance bien. Finalement, ce sera sans doute 5 semaines. Ouf ! Ai suivi la fée des brouillards. Sortis du village, marché assez loin sur une petite route. Heureusement qu’il y avait... du brouillard ! À croire que (inaudible) ! Elle ne m’a pas repéré, mais moi, j’ai vu le chemin où elle a disparu. La prochaine fois, j’investis les lieux. Ma belle, prépare toi à passer à la casserole.

25 Octobre - Ai profité une dernière fois de blondinette, mais le cœur n’y était plus. Me suis tout de même bien amusé à voir sa tête quand je lui ai dit que j’étais marié et qu’elle pouvait maintenant aller se faire voir : désespoir, les grandes eaux ! On aurait dit Cendrillon face à ce qui reste de son carrosse une fois minuit passé ! Lui ai conseillé d'aller se plaindre à la fée des brouillards et l’ai virée manu militari.

28 Octobre - Impossible d’en savoir plus sur la fée des brouillards. Tous les bouseux que j’interroge à son sujet me répondent ostensiblement à côté. Même la gourdasse du tabac fait maintenant semblant de ne pas comprendre de qui je parle. Je me demande si  (inaudible).

31 Octobre - Cette fois je suis à pied d’œuvre. Fin d’après-midi. Ai suivi en voiture le chemin de l’autre jour. Champs, forêt. Loin dans la forêt. Brouillard ! Vraiment très curieux. Ai cru apercevoir un  (inaudible). Ai suivi la direction où il avait disparu. Et là soudain une magnifique clairière. Air transparent, lumière orange, comme un coucher de soleil sur l’Adriatique. Je deviens romantique. Il faut que je me surveille. Une chaumière sortie tout droit d’un livre de contes. Les Contes de ma Mère l’Oye. Celui-là pourrait s’intituler : “L’oie blanche que je vais fourrer”. Ai arrêté le moteur. M'en remets à mon confesseur avant d’attaquer. Cher gouverneur de mon âme, que me conseilles-tu ? La douceur ? Non, je crois qu’elle a besoin d’être un peu bousculée. Attends un peu ma cocotte. Tu aimes les contes de fées ? Le méchant loup arrive. Incroyable! Au moment où j’écris ces lignes, la porte de la chaumière s’ouvre. Elle sort. Elle est nue! Non pas tout à fait : elle a gardé ses lunettes. Je n’y crois pas. J’en étais sûr. La salope ! En fait elle n’attendait que ça. Une chose est sûre, ça va être ta fête, ma cochonne. Elle s’est arrêtée et fait une volte sur place, assez lentement pour que je puisse apprécier la splendeur majestueuse de son cul. Une chaude ! Elle approche de la voiture. Elle a une baguette à la main. Tu vas bientôt en voir une autre, de baguette. Elle approche. Elle s’arrête. Me regarde en souriant. Elle lève sa baguette, la pointe sur moi et je
(chants d'oiseaux)

P.S. L’année dernière, des chercheurs de champignons découvraient au fin fonds de la forêt de R. un véhicule abandonné de type 4x4, puissant, modèle haut de gamme, ruiné comme par une éternité d'abandon, presque totalement recouvert par les ronces. Les portières n’étaient pas verrouillées et, après avoir éclairci quelque peu le rideau de végétation qui les recouvrait, les promeneurs sont parvenus à les ouvrir. Le véhicule était vide, à l’exception, sur le siège du conducteur, d’une magnifique citrouille. Au pied du siège, un stylo et un dictaphone. Le contenu de ce dictaphone, qui s'apparente à un journal, est retranscrit ci-dessus dans son intégralité, à l’exception de quelques passages inaudibles : brouillages parasites sans doute liés à un champ électromagnétique proche, téléphone portable ? Nous ne nous sommes pas autorisés à publier le nom de la bourgade ni le nom propre cité à deux reprises, bien qu'ils l'aient été dans la presse, l'affaire ayant fait quelque bruit à l'époque : le véhicule appartenait à un promoteur immobilier disparu du jour au lendemain. Les recherches destinées à retrouver sa trace n’ont jamais abouti. Les affaires douteuses du disparu, placements risqués, évasions fiscales, blanchiment probable d’argent sale, sans compter une situation familiale à la dérive, ont amené les enquêteurs à la conclusion d’une vraisemblable fuite vers quelque paradis aussi lointain que peu regardant sur l’origine de la fortune de ses nouveaux ressortissants. Reste un mystère : comment cette voiture a pu se retrouver à cet endroit de la forêt, loin de tout chemin, et d’accès rendu difficile, même à pied, par une végétation particulièrement dense ? Et un mystère dans le mystère : d’où venait cette citrouille ?


Texte et photographie : Shaki Pelott 2012.