samedi 10 mars 2012

L'heure du goûter



Quelque part dans les Caraïbes, il y a quelques semaines. Au programme de l’après-midi, plongée dans le “Jardin des émeraudes”, un site remarquable non seulement par le spectacle de la faune et de la flore marines qu’il offre à ceux qui s’y aventurent, mais aussi par une luminosité particulière qui lui a valu son nom.
- Et les requins ?
s’enquiert Paulette, une des participantes à l’expédition, sur un ton un peu inquiet.
- Aucun risque dans cette zone, explique notre guide. De ce côté de l’île, c’est pour ainsi dire une immense piscine, l’accès côté haute mer est protégé par des récifs et des coraux, les requins restent de l’autre côté. De toute façon j’ai toujours mon “pique-boeuf” avec moi, conclut-il en agitant une sorte de fine matraque télescopique munie d’une pointe.
Il est convaincant le bougre. Du coup nous partons le coeur léger, même si je ne suis sans doute pas le seul à me poser la question : s’il n’y a aucun risque, pourquoi ne pas se séparer du “pique-boeuf” ?
 Nous sommes cinq, guide compris. Le Zodiac nous emmène au centre du “jardin”. Le temps est magnifique. L’un après l’autre, nous basculons en arrière. Le ciel bleu turquoise s’efface, immersion dans le Rayon Vert !


Le site vaut incontestablement le déplacement. On en a plein les mirettes, c’est un rêve éveillé et en apesanteur ! À un moment ma voisine de droite s’immobilise. Je me tourne vers elle, elle a les yeux écarquillés, elle est comme pétrifiée. Je commence à m’affoler, elle ne se sent pas bien ? Heureusement, nous ne sommes pas descendus profond, les risques sont limités. Elle continue à regarder droit devant elle sans me voir. Je me décide à suivre son regard... et c’est à mon tour de me retrouver changé en statue ! La silhouette que je découvre n’a rien du poisson clown ! “Une piscine”, qu’il disait. “Des récifs et des coraux”, qu’il disait. “Aucun risque”, qu’il disait. Apparemment, le promeneur qui s’approche n’était pas au courant. Autant l’avouer, j’ai beau me répéter “le commandant Cousteau l’a dit, le requin n’attaque pas l’homme, le commandant Cousteau l’a dit, le requin n’attaque pas l’homme”, j’ai la peur de ma vie. Et si celui-là ne connaissait pas le commandant Cousteau ? S’il n’était pas au courant qu’il n’attaque pas l’homme ? Dans le coin gauche de mon champ visuel, je vois notre guide, immobile lui aussi, son pique-boeuf déployé à la main. Je me force à regarder de nouveau en direction des dents de la mer : et là je vois notre visiteur qui fait tranquillement demi-tour et s’éloigne. De toute évidence on ne l’intéresse pas. Je regarde ma montre : 16h37. L’heure du goûter ! Heureusement, il n’a pas faim, ou alors c’est un fan du commandant. Ouf ! Si j’avais pu, à cet instant je me serais épongé le front. Commandant, je vous aime ! On se compte, tout le monde est là, on se fait le signe “no problem” comme si personne n’avait eu peur, vous pensez, il en faut plus pour nous inquiéter. Mais je suis sûr que je ne suis pas le seul à être heureux de retrouver le Zodiac.

Et vous savez qui a fait les photos ? Paulette, la participante inquiète ! C’est la seule à part le guide qui a eu le réflexe de faire autre chose qu’avoir peur.




- Les Caraïbes ? Le "Jardin des émeraudes" ? Tu parles : il a pris ces photos à l'aquarium de La Rochelle ! 
 - Quel hâbleur !
- Hâbleur ? Mystificateur, oui !
- Mais Paulette alors ?
- La reine des paupiettes !
- Mais La Rochelle ? C'est aux Caraïbes ? Je croyais que c'était en Espagne ?
- Tu confonds avec Rochefort.
- Et comment il a pu plonger dans un aquarium en Espagne ?
- Avec des palmes pour sûr...
- Le commandant Cousteau, il était espagnol ?
- Le requin n'attaque pas ¡ el hombre !
- L'omble n'attaque pas l'homme ?
- Je rentre à Levallois.