mercredi 28 novembre 2012

mardi 6 novembre 2012

La fée des brouillards


2 Octobre - Arrivé ce soir à R. Hôtel de province typique. Bled paumé à quinze km du chantier. Impossible de trouver une chambre plus proche. Coincé ici pour 4 semaines. Espérons qu'il y a de la femme.

3 Octobre - Il était temps que j’arrive. M. pas du tout à la hauteur. Chantier en retard. Tout reprendre en main. Ce sera plutôt 6 semaines.

4 Octobre - Manque de femelle. L’hôtelière est barbue. Suis en manque ! Cuisine soi-disant “familiale”. Traduire : piteuse.

5 Octobre - Divine surprise. Blondinette, soubrette, fait aussi le service au restaurant. Adorable. J’attaque ! M. viré. Bon débarras.

8 Octobre - Travail par dessus la tête. En allant acheter cigarettes, ai croisé brune mystérieuse. Très belle femme. À lunettes, donc une cochonne. L’ai abordée. Échec. Je l’aurai à tout prix. La blondinette va bientôt passer à la casserole : lui ai dit que j’étais célibataire, que j’étais tombé amoureux d’elle. Cette cruche ne marche pas, elle court.

11 Octobre - Intempéries. Coincé depuis deux jours sans pouvoir avancer. La blondinette se fait prier. Elle parle de mariage ! Que ces filles de province peuvent être naïves !

12 Octobre - Grand beau temps. Au travail !

15 Octobre - Ai revu la brune mystérieuse. Elle a daigné m’accorder un sourire. Attends un peu, tu y passeras toi aussi. Ai demandé à la gourdasse qui vend les cigarettes si elle connaissait son nom. Réponse : “Ne vous en approchez pas, c’est la fée des brouillards.” Texto ! Et pas de second degré : elle a dit ça sérieusement. Pays arriéré. Impensable.

18 Octobre - Victoire ! J’ai eu la blondinette. Elle a tenu ses promesses. Fraîche et douce. La flétrir fut un régal.

21 Octobre - Ai suivi la fée des brouillards. Elle ne se déplace qu’à pied. Curieux. A l’air pourtant très “grande bourgeoise”, enfin façon province. L’ai perdue sans comprendre comment.

23 Octobre - Blondinette m’ennuie. Elle est vraiment trop gentille.

24 Octobre - Le chantier avance bien. Finalement, ce sera sans doute 5 semaines. Ouf ! Ai suivi la fée des brouillards. Sortis du village, marché assez loin sur une petite route. Heureusement qu’il y avait... du brouillard ! À croire que (inaudible) ! Elle ne m’a pas repéré, mais moi, j’ai vu le chemin où elle a disparu. La prochaine fois, j’investis les lieux. Ma belle, prépare toi à passer à la casserole.

25 Octobre - Ai profité une dernière fois de blondinette, mais le cœur n’y était plus. Me suis tout de même bien amusé à voir sa tête quand je lui ai dit que j’étais marié et qu’elle pouvait maintenant aller se faire voir : désespoir, les grandes eaux ! On aurait dit Cendrillon face à ce qui reste de son carrosse une fois minuit passé ! Lui ai conseillé d'aller se plaindre à la fée des brouillards et l’ai virée manu militari.

28 Octobre - Impossible d’en savoir plus sur la fée des brouillards. Tous les bouseux que j’interroge à son sujet me répondent ostensiblement à côté. Même la gourdasse du tabac fait maintenant semblant de ne pas comprendre de qui je parle. Je me demande si  (inaudible).

31 Octobre - Cette fois je suis à pied d’œuvre. Fin d’après-midi. Ai suivi en voiture le chemin de l’autre jour. Champs, forêt. Loin dans la forêt. Brouillard ! Vraiment très curieux. Ai cru apercevoir un  (inaudible). Ai suivi la direction où il avait disparu. Et là soudain une magnifique clairière. Air transparent, lumière orange, comme un coucher de soleil sur l’Adriatique. Je deviens romantique. Il faut que je me surveille. Une chaumière sortie tout droit d’un livre de contes. Les Contes de ma Mère l’Oye. Celui-là pourrait s’intituler : “L’oie blanche que je vais fourrer”. Ai arrêté le moteur. M'en remets à mon confesseur avant d’attaquer. Cher gouverneur de mon âme, que me conseilles-tu ? La douceur ? Non, je crois qu’elle a besoin d’être un peu bousculée. Attends un peu ma cocotte. Tu aimes les contes de fées ? Le méchant loup arrive. Incroyable! Au moment où j’écris ces lignes, la porte de la chaumière s’ouvre. Elle sort. Elle est nue! Non pas tout à fait : elle a gardé ses lunettes. Je n’y crois pas. J’en étais sûr. La salope ! En fait elle n’attendait que ça. Une chose est sûre, ça va être ta fête, ma cochonne. Elle s’est arrêtée et fait une volte sur place, assez lentement pour que je puisse apprécier la splendeur majestueuse de son cul. Une chaude ! Elle approche de la voiture. Elle a une baguette à la main. Tu vas bientôt en voir une autre, de baguette. Elle approche. Elle s’arrête. Me regarde en souriant. Elle lève sa baguette, la pointe sur moi et je
(chants d'oiseaux)

P.S. L’année dernière, des chercheurs de champignons découvraient au fin fonds de la forêt de R. un véhicule abandonné de type 4x4, puissant, modèle haut de gamme, ruiné comme par une éternité d'abandon, presque totalement recouvert par les ronces. Les portières n’étaient pas verrouillées et, après avoir éclairci quelque peu le rideau de végétation qui les recouvrait, les promeneurs sont parvenus à les ouvrir. Le véhicule était vide, à l’exception, sur le siège du conducteur, d’une magnifique citrouille. Au pied du siège, un stylo et un dictaphone. Le contenu de ce dictaphone, qui s'apparente à un journal, est retranscrit ci-dessus dans son intégralité, à l’exception de quelques passages inaudibles : brouillages parasites sans doute liés à un champ électromagnétique proche, téléphone portable ? Nous ne nous sommes pas autorisés à publier le nom de la bourgade ni le nom propre cité à deux reprises, bien qu'ils l'aient été dans la presse, l'affaire ayant fait quelque bruit à l'époque : le véhicule appartenait à un promoteur immobilier disparu du jour au lendemain. Les recherches destinées à retrouver sa trace n’ont jamais abouti. Les affaires douteuses du disparu, placements risqués, évasions fiscales, blanchiment probable d’argent sale, sans compter une situation familiale à la dérive, ont amené les enquêteurs à la conclusion d’une vraisemblable fuite vers quelque paradis aussi lointain que peu regardant sur l’origine de la fortune de ses nouveaux ressortissants. Reste un mystère : comment cette voiture a pu se retrouver à cet endroit de la forêt, loin de tout chemin, et d’accès rendu difficile, même à pied, par une végétation particulièrement dense ? Et un mystère dans le mystère : d’où venait cette citrouille ?


Texte et photographie : Shaki Pelott 2012.

dimanche 28 octobre 2012

Hors saison


Et sans doute on verra apparaître

Quelques dessins sur la buée des fenêtres

Vous, vous jouerez dehors

Comme les enfants du nord
Octobre restera peut-être.

Francis Cabrel - Octobre.

Photographie : Shaki Pelott.

lundi 15 octobre 2012

L'âge de verdure : la lampe


Photographie : Shaki Pelott.
Série inspirée par l'univers des jeux Myst et Riven.

dimanche 7 octobre 2012

EXCLUSIF : LE CHANTEUR DAVE DERRIÈRE LES BARREAUX !!!


C’est la consternation !
Le bar-tabac étant fermé, l’affiche apposée sur la porte et annonçant une soirée prochaine avec le chanteur Dave s’est retrouvée derrière la grille.
Que s’est-il passé pour en arriver là ? Tout simplement c’était dimanche après-midi et le bar-tabac est fermé le dimanche après-midi.
Nous allons poursuivre nos investigations sur la pêche aux moules et le séchage des rouleaux de jujube.
Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des développements de ce dossier explosif, mais a priori le bar-tabac ne vendra pas de pétards avant la mi-juillet, donc ça nous laisse le temps.


Photographie : Shaki Pelott.

samedi 29 septembre 2012

Proust Kebab


Beauce de Péguy.
Porte-étendard en tête.
La troupe de scouts avance au loin, droit vers nous, fendant la plaine nue de septembre.
Là-bas, à l’ouest, la cathédrale de Chartres veille.
Ils avancent à l’assaut de cet océan sans vagues.
Ils ne recherchent pas le temps perdu. Ils le foulent, le rudoient à chaque pas décidé.
Porte-étendard en tête.
Un virage et ils disparaissent.
Je ferais mieux de regarder la route.


Beauce de Péguy, cela ferait un joli nom. Un nom de jeune fille en fleur.


- Tu ferais mieux de regarder la route au lieu de rêvasser ! me lance tante Léonie.
Je me tourne un bref instant vers elle. Elle est en train de déballer un bonbon.
Regard retour route. 


Ah... Contrôle de gendarmerie. Décidément, les uniformes sont de sortie.
Je freine, me gare sagement sur le côté. Baisse ma vitre avec un sourire léger, ne pas trop en faire. Un uniforme se penche, une tête moustachue apparaît, coiffée d’un képi. Un bref salut militaire. La tête moustachue prend la parole avec un furieux accent de la Garonne :
- Messieurs dames, papiers du véhicule s’il vous plaît.
Tante Léonie se penche un peu, interpelle le représentant de l’autorité :
- Commandant, nous sommes un peu perdus. C’est encore loin Villiers-Cambrai ?
L’interpellé se penche un peu plus, l’air circonspect. Il considère tante Léonie un instant, lui accorde le bénéfice de l’âge, choisit de sourire :
- Je ne suis pas commandant, madame, pas encore. Illiers-Combray n’est pas très loin, mais dans l’autre sens. Il vous faudra faire demi-tour au prochain rond-point.
Tante Léonie me pousse du coude :
- Je te l’avais dit de regarder ta route.
L’aspirant commandant étudie les papiers, me les rend, me propose de gonfler un ballon. Je gonfle. Il me le reprend, m’annonce que la couleur obtenue est satisfaisante, le fait disparaître comme un prestidigitateur ferait disparaître une carte inopportune. Porte à nouveau deux doigts à son képi en se penchant à nouveau pour saluer tante Léonie.


Lorsque nous repassons dans l’autre sens quelques minutes après, tante Léonie se penche un peu pour saluer au passage son commandant d’un petit geste de la main très reine d’Angleterre. Le commandant la reconnaît, il a le temps, je ne roule pas vite dans mon tacot, lui rend son salut. Deux vieux amis ! 


Après une ou deux minutes, tante Léonie me demande :
- Tu ne trouves pas qu’il est beau garçon ce commandant ?
- En tout cas je suis sûr que tu lui as tapé dans l’oeil.
Elle me donne une tape sur l’épaule :
- Ce n’est pas bien de se moquer.
- Mais je ne me permettrais jamais de me moquer !
- Tu parles Charles !

Là-dessus elle se met à fredonner “Comandante Che Guevara” en faisant rouler le “r” comme la Garonne fait rouler les cailloux dans son lit.
 

Nous nous garons à l’ombre de l’église. Une église qui se tait et qui dure, sans doute, mais pas petite, ça non. Nous sortons de ma voiture de collection. Un chérubin en bronze nous tourne le dos. Il regarde en direction du Café de la Place. Je regarde dans la même direction. J’ai faim et soif. Je prends mon petit sac à dos sur le siège arrière, je boucle les portières.
- J’ai faim, annonce tante Léonie.


Une voiture vient se garer à côté de nous. En sortent un grand type aux cheveux blancs chic en pull bleu marine et mocassins cuir, et la conductrice, sans doute sa fille, vêtue entre autre d’un chapeau-cloche très littéraire.
Le Café de la Place ne sert pas de repas. Nous en ressortons dépités.
Je balaie les lieux du regard, tel un lion affamé en quête de gazelle imprudente.
Un restaurant marocain fermé. Un kébab fermé. Un Café de la Place qui ne sert pas de repas. Une brasserie fermée. Ah... Un kébab ouvert, là-bas. Oui mais bon... Pour le repas de dimanche de tante Léonie, je comptais lui offrir un petit extra. Je regarde à gauche, à droite. À droite ! Grand Chic et Chapeau Cloche partent d’un bon pas. Ils semblent savoir où ils vont. Sûrement dans un petit restau de derrière les fagots.
- Suivons-les, dis-je à tante Léonie en la prenant par le bras.
Au bas de la rue, Grand Chic et sa fille accélèrent le pas comme pour nous semer. Ils tournent à droite sans se retourner. Un panneau indique que le “Pré Catelan” se trouve en direction de la gauche. Je suggère à tante Léonie :
- Le Pré Catelan... Avec un nom pareil, il doit bien y avoir un restaurant par là, non ? Ou alors (je fais un geste en direction des deux fuyards) on les suit : à mon avis ils vont dans un bon petit restau de derrière les fagots.
Réponse de tante Léonie :
- J’ai faim. On va au kébab.
Demi-tour, nous revenons sur nos pas. J’en profite pour faire les présentations.


Tante Léonie : soixante-dix-huit ans aux prunes, toutes ses dents malgré une gourmandise assumée et hors du commun.
Votre serviteur : heureux possesseur d’une 4L Safari dans son jus (inutile de m’écrire, je ne suis pas vendeur), pour quelques semaines encore sur le bon versant de la cinquantaine. Voilà des années que j’avais promis à tante Léonie de l’emmener faire un tour à Illiers-Combray. Non, je n’ai pas lu Proust. Pas encore. Je me promets de commencer la semaine prochaine, et ce depuis l’âge de dix-huit ans. Diverses péripéties font que j’ai pris un peu de retard, mais le projet tient toujours. Tante Léonie non plus n’a pas encore lu Proust, mais se promet de commencer dans deux semaines. Par contre, elle aime beaucoup les madeleines et tous les gâteaux et aussi le chocolat et les confiseries et a commencé à en manger dès qu’elle a pris conscience de cette affinité gourmande, c’est à dire il y a environ soixante-quinze ans.


Tiens, un splendide roadster anglais se gare sur la place. Un couple grisonnant s’en extrait tant bien que mal. Ils lorgnent avec envie sur ma Safari.
Pour répondre une fois pour toutes à LA question que vous vous posez : oui, elle s’appelle vraiment Léonie. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis toujours promis de l’emmener faire un tour à Illiers-Combray : après tout elle y est un peu chez elle. D’autant plus qu’elle adore les madeleines.

Le patron du kebab a l’air fatigué, et cela n’est guère surprenant, puisqu’à en croire ce qui est écrit sur la porte, il travaille du lundi au dimanche, ce qui ne lui laisse guère de temps pour se reposer. Dans le fond, on entrevoit une cuisine éclairée au néon. Un gamin en survêtement y rêve qu’il joue au football. La mère fait office de cantinière. Nous commandons de quoi nous restaurer, kefta, salades, frites, de l’eau, du soda frais.
Nous nous installons près de la baie vitrée, d’où nous pouvons surveiller la place tout en devisant.
- Alors, me lance tante Léonie en attaquant sa salade, as-tu lu ton Proust ?
Bien que ne l’ayant pas encore lu non plus, tante Léonie, de part son nom, se considère comme faisant part de l’héritage spirituel de l’écrivain, et elle insiste depuis toujours pour que je lise “mon Proust”, ne serait-ce que par respect envers elle.
- Léonie, on ne dit pas “ton Proust”, on dit “La recherche”. C’est autrement plus chic.
Elle pique une frite dans mon assiette, engloutit deux verres d’eau à la suite, hausse les épaules :
- “La recherche” ! Et puis quoi encore ? Tu sais ce qu’ont dit ces gars-là : si tu n’as pas lu ton Proust à cinquante ans, c’est que tu as raté ta vie.
- Léonie ! Je t’en prie ! SÉ-GUÉ-LA, pas “ces gars-là” ! Tu le sais très bien. Et puis c’est sa Rolex qu’il faut avoir lue, pas son Proust.
- Bon, arrête de chipoter. De toute façon, tu as toujours été comme ça depuis tout petit, à couper les cheveux en quatre.


Sur la place, j’aperçois Grand Chic et sa Chapeau Cloche. Ils ont apparemment fait le tour du pâté de maisons, et de toute évidence derrière les fagots ils n’ont pas trouvé l’escompté restau. Ils marchent d’un pas moins bien assuré, les épaules légèrement voûtées. Ils semblent reprendre espoir en avisant le Café de la Place, sur lequel ils mettent le cap.


Le couple au roadster a perdu moins de temps. Ils poussent déjà la porte du kébab, bientôt suivis de deux dames hésitantes et néanmoins souriantes.


J’annonce à tante Léonie :
- Après nous irons visiter ta maison et ensuite nous irons faire un petit tour au Pré Catelan.
- Depuis le temps que tu me le promets ! Et il ne faudra pas oublier d’acheter des madeleines.


Grand Chic et Chapeau Cloche ressortent du Café de la Place. Ils en ont pris un coup au moral, cela se voit. Ils regardent en direction du kébab et réalisent peu à peu qu’ils n’ont plus le choix.
Une des dames souriantes a découvert la porte des toilettes, près du distributeur de boissons. L’aubaine la ravit visiblement. Elle s’y engouffre sans demander son reste.
Grand Chic et Chapeau Cloche poussent la porte d’un air méfiant. Le mur semble tenir bon, rien n’explose, aucun seau d’eau ne se déverse sur leurs têtes. Ils entrent. Se détendent enfin. Ils sont sauvés.
Bientôt, tout le monde croustonne bon train, cliquetis de fourchettes et conversations à mi-voix.

Plus tard, lors de la visite de la maison de tante Léonie, nous retrouvons tous nos amis du kébab. Comme tout le monde a finalement plutôt bien mangé, on sent bien qu’une petite sieste ne serait pas de trop. Mais nous suivons le guide, une jeune fille aimable et prolixe. Nous n’écoutons pas tout (voir la remarque sur la sieste) : nous nous laissons bercer par la visite, apaisante comme une tasse de tilleul.
À l’étage, une pièce est consacrée à des photographies de Nadar. Je m’immobilise, admiratif, devant un portrait de Sarah Bernardt en ingénue que l’on devine libertine. Tante Léonie m’apprend qu’elle a eu une aventure amoureuse avec une fille qui lui ressemblait quand elle avait quinze ans. Monsieur roadster tend l’oreille, se donnant une contenance en y collant son portable éteint. Tante Léonie entre dans les détails. Je la supplie de parler plus bas. Le portable de monsieur roadster se met à carillonner à son oreille, le faisant sursauter.
Nous apprenons bientôt que les madeleines nous seront interdites : celle qui est exposée sous verre dans la chambre de tante Léonie n’est pas destinée à la consommation, et le méphistophélique pâtissier du bourg, pour quelque obscure raison, a décidé de fermer sa boutique chaque dimanche, privant les touristes dominicaux de leur ticket aller-retour gourmand dans le monde des souvenirs.
- Quelle bêtise ! s’exclame, outrée, tante Léonie. Ah ça, on n’a pas tort de parler des bêtises de Cambrai !
- Combray, Léonie, COM-BRAY !
- Oui, oh bon, arrête de chipoter tu veux bien.

Vous n’avez certainement pas oublié le petit sac à dos que j’avais posé à l’arrière de la Safari ?
Dans mon petit sac à dos j’y avais mis : un paquet de madeleines venues tout droit du supermarché près de chez moi, et un thermos de thé. Pourquoi avais-je emporté ces madeleines ? Une prémonition sans doute ? En tout cas, quand j’ai déballé mes trésors, assis sur un banc du Pré Catelan, au soleil de fin septembre, il y en a une qui a été contente. J’ai eu droit à une bise sonore.
Je rends sa bise à Léonie. Je lui remplis un gobelet de thé chaud et parfumé, lui offre une madeleine, et lui promets :
- Demain, je t’achèterai des bêtises de Cambrai. Des vraies de vraies.


Elle est pas belle, la vie ?


Texte et photographie : Shaki Pelott 2012.

mardi 18 septembre 2012

Rentrée littéraire


Venus tout droit du pays de Nulle Part, les éditeurs de "L'ampoule" m'ont proposé de participer au numéro de septembre de cette revue littéraire énervée et en ligne, dont le thème est "Homme et animal". Au départ, je me suis méfié, pensant qu'il pouvait s'agir d'un coup du capitaine Crochet cherchant à se tuyauter sur les répulsifs anti-crocodiles. Renseignement pris auprès de ma concierge, Crochet est en vacances dans le Cantal et de toute façon il ne lit que "Blek" et "Akim". Rassuré, j'ai accepté l'invitation avec plaisir.
Pour lire la revue, il suffit de passer par la porte ouverte sur les éditions de l'Abat-Jour dans les idées de promenade. Ne faites pas attention au crocodile qui fait le matamore sur le seuil, il n'est pas dangereux et ne risque pas d'exploser même s'il fait "tic-tac". De toute façon, il doit partir prochainement pour le Cantal.

Photographie : Shaki Pelott.

dimanche 5 août 2012

Siffler sur l'alpe


Sur un chemin alpin escarpé j’allais, solitaire promeneur, méditant sur l’inconstance du monde et ses vicissitudes, mon pas rythmé par le choc régulier du bout ferré de mon alpenstock. L’air vibrait de l’appel métallique des criquets. Quand soudain un sifflement me tira de ma rêverie (de promeneur solitaire pour ceux qui n’auraient pas suivi).
Un sifflement !
L’arbitre ?
La maréchaussée ?
Une admiratrice ?
L’environnement me fit sagement opter pour la troisième hypothèse et je me retournai, un léger sourire aux lèvres, m’apprêtant à sortir mon stylographe Mont Blanc (n’oublions pas que nous sommes dans les Alpes) pour offrir à la belle un autographe bien mérité (le chemin était très escarpé) (les textes entre parenthèse peuvent être ignorés par le lecteur vif d’esprit).
Surprise : à l’entour nulle admiratrice ! Ni arbitre, ni maréchaussée d’ailleurs. Quelque peu décontenancé que ma sagacité ait été prise en défaut, j’étais sur le point de reprendre mon chemin (escarpé) quand le sifflement à nouveau me perça les oreilles, puissant, aigu, impératif.
Et je la vis. À quelques pas de moi.
Une marmotte, mes amis : une marmotte !
(Les marmottes ont pour coutume de siffler pour avertir leur communauté d’un danger imminent, ou s’il fait trop chaud pour commander une glace, ou sous la douche).
Vite, lui adresser la parole, ne pas l’effaroucher, établir le contact !
Qui n’a pas secrètement rêvé de bavarder un jour avec une marmotte ? De parler avec elle à bâtons rompus de tout et de rien, là, au bord d’un sentier alpin escarpé ?
Vite, lui répondre avant qu’elle ne disparaisse ! Sans réfléchir, je lui lançai :
- Chère amie, quelle bonne surprise ! Que pensez-vous de l’inconstance du monde et de ses vicissitudes ?
Cet esprit de répartie suffit sans doute à rasséréner l’animal, qui accepta aussitôt de s’asseoir à mes côtés. Et là, dans l’herbe bordant le chemin escarpé, nous nous mîmes à deviser comme si nous étions deux amis de toujours réunis par le bonheur d’une fortuite rencontre.
L’occasion était trop belle. Je lui posai les mille questions que nous nous posons tous à propos des marmottes. “Parvenez-vous à capter la télé dans vos galeries ? Quel journal lisez-vous ? Êtes-vous plutôt juillettistes ou plutôt aoûtistes ?  Avez-vous déjà visité la Tour Eiffel ? Que représente exactement le cow boy dans ‘Mulholland Drive’ ? Êtes-vous pour ou contre le réchauffement climatique ?”
Ma nouvelle amie me répondait avec patience et simplicité. Elle fut sans doute étonnée des lacunes de mon savoir sur la vie des marmottes, mais, élégante, elle n’en laissa rien paraître. J’en appris tant sur les marmottes en parlant avec elle ! Par exemple, il est très bien vu chez les marmottes de faire la grasse matinée, et même la grasse après-midi. Je lui appris que j’avais sans doute des ancêtres marmottes, car j’adorais faire la grasse matinée, et ensuite manger des croissants.
Finalement, je lui posai la question qui me brûlait les lèvres depuis tant d’années :
- Comment faites-vous pour siffler aussi fort sans mettre les doigts dans la bouche ? (Siffler fort sans mettre les doigts dans la bouche, c’est difficile comme faire du vélo sans les mains).
Cette fois elle ne put retenir un petit rire. Elle me regarda de côté, les yeux brillants, puis me dit sur un ton incrédule qu’elle força à plaisir :
- Comment ? Vous ignorez même cela ?
- Oui, je l’avoue. Je l’ignore.
Elle s’approcha de moi, posa sa patte sur mon épaule, et s’approchant de mon oreille, elle m’expliqua à voix basse.
- C’était donc ça ! m’écriai-je en me tapant sur la cuisse.
Il fallut aussitôt que j’expérimente mon savoir tout neuf. Je me levai et me mis à siffler, siffler, siffler. Mon amie applaudit en riant de plaisir, “Oui, voilà, vous l’avez !” Et voilà qu'à droite, à gauche, en amont, en aval, les marmottes du voisinage mettaient le nez à la fenêtre, et intriguées, sortaient, nous rejoignaient : “Quel est donc ce nouveau voisin ?”
- C’est merveilleux, finis-je pas lui dire sincèrement. Comment vous remercier ?
Ce fut mon tour d’être étonné de l’entendre me répondre :
- Accepteriez-vous de me prendre en photo ? Ici, nous n’avons que des photomatons de montagne, et les portraits qu’ils produisent sont si peu flatteurs...
Je ne fis pas une photo, mais tout un album, shootant, riant, sifflant sur l’alpe.
Le temps passe trop vite, et là-haut sur la montagne encore plus vite qu’ailleurs (parce qu’en altitude l’air est plus mince, donc offre moins de résistance au temps qui ainsi passe plus vite).
Il fallut se dire adieu.
- Non. Pas “adieu”. Au revoir, mes amies.
- Au revoir, mon ami, me dit-elle, la gorge serrée. Tu es...
Elle hésita un instant, puis reprit :
- Tu es digne d’être une marmotte.
Je l’embrassai. Autour de nous, les autres marmottes souriaient, gênées et émues.
Il était temps de partir.
Je repris mon alpenstock, envoyai un salut de mon chapeau à plumet, et me mis en route.
Je ne vous oublierai pas, mes amies.
Et qui sait ? Peut-être un jour sifflerons-nous à nouveau ensemble sur l’alpe au soleil couchant ?

Texte et photographie : Shali Pelott 2012.

dimanche 22 avril 2012

La pluie picote les étangs


La pluie picote les étangs,
Il pleut dehors, il pleut dedans,
J'ai ma maison dans le vent;


Ce sont les brouillards de septembre,
Qui ne perdra rien à attendre
Les frimas, le gel et décembre.


Belles, mettez vos robes noires,
Couvrez vos seins et leurs ivoires,
Mettez du bois sur le grand feu;


Si vous regrettez le Bellou,
Nue dans le zéphyr si doux,
Enfermez-vous, enfermez-vous,
Rêvez secrètes, couvrez-vous.


Je grillerai quelques châtaignes,
Ne vous mettez guère en peine,
Je sais encore vivre sans vous;


J'ai des étangs de par le monde,
La chevelure des heures rondes,
Au loin pourtant le tonnerre gronde.


Contre-point, fugue, il faut partir,
Embrasse monsieur l'Avenir,
Enfance bleue, tendre gazelle;


Quand tu t'habilleras le matin,
Tu mettras avec ton parfum
Un soupçon de mélancolie.

Julos Beaucarne - La pluie picote les étangs.
À retrouver sur le CD "Bornes acoustiques 67/68" édité par EPM, réf. 986792.


Photographie : Shaki Pelott.

samedi 10 mars 2012

L'heure du goûter



Quelque part dans les Caraïbes, il y a quelques semaines. Au programme de l’après-midi, plongée dans le “Jardin des émeraudes”, un site remarquable non seulement par le spectacle de la faune et de la flore marines qu’il offre à ceux qui s’y aventurent, mais aussi par une luminosité particulière qui lui a valu son nom.
- Et les requins ?
s’enquiert Paulette, une des participantes à l’expédition, sur un ton un peu inquiet.
- Aucun risque dans cette zone, explique notre guide. De ce côté de l’île, c’est pour ainsi dire une immense piscine, l’accès côté haute mer est protégé par des récifs et des coraux, les requins restent de l’autre côté. De toute façon j’ai toujours mon “pique-boeuf” avec moi, conclut-il en agitant une sorte de fine matraque télescopique munie d’une pointe.
Il est convaincant le bougre. Du coup nous partons le coeur léger, même si je ne suis sans doute pas le seul à me poser la question : s’il n’y a aucun risque, pourquoi ne pas se séparer du “pique-boeuf” ?
 Nous sommes cinq, guide compris. Le Zodiac nous emmène au centre du “jardin”. Le temps est magnifique. L’un après l’autre, nous basculons en arrière. Le ciel bleu turquoise s’efface, immersion dans le Rayon Vert !


Le site vaut incontestablement le déplacement. On en a plein les mirettes, c’est un rêve éveillé et en apesanteur ! À un moment ma voisine de droite s’immobilise. Je me tourne vers elle, elle a les yeux écarquillés, elle est comme pétrifiée. Je commence à m’affoler, elle ne se sent pas bien ? Heureusement, nous ne sommes pas descendus profond, les risques sont limités. Elle continue à regarder droit devant elle sans me voir. Je me décide à suivre son regard... et c’est à mon tour de me retrouver changé en statue ! La silhouette que je découvre n’a rien du poisson clown ! “Une piscine”, qu’il disait. “Des récifs et des coraux”, qu’il disait. “Aucun risque”, qu’il disait. Apparemment, le promeneur qui s’approche n’était pas au courant. Autant l’avouer, j’ai beau me répéter “le commandant Cousteau l’a dit, le requin n’attaque pas l’homme, le commandant Cousteau l’a dit, le requin n’attaque pas l’homme”, j’ai la peur de ma vie. Et si celui-là ne connaissait pas le commandant Cousteau ? S’il n’était pas au courant qu’il n’attaque pas l’homme ? Dans le coin gauche de mon champ visuel, je vois notre guide, immobile lui aussi, son pique-boeuf déployé à la main. Je me force à regarder de nouveau en direction des dents de la mer : et là je vois notre visiteur qui fait tranquillement demi-tour et s’éloigne. De toute évidence on ne l’intéresse pas. Je regarde ma montre : 16h37. L’heure du goûter ! Heureusement, il n’a pas faim, ou alors c’est un fan du commandant. Ouf ! Si j’avais pu, à cet instant je me serais épongé le front. Commandant, je vous aime ! On se compte, tout le monde est là, on se fait le signe “no problem” comme si personne n’avait eu peur, vous pensez, il en faut plus pour nous inquiéter. Mais je suis sûr que je ne suis pas le seul à être heureux de retrouver le Zodiac.

Et vous savez qui a fait les photos ? Paulette, la participante inquiète ! C’est la seule à part le guide qui a eu le réflexe de faire autre chose qu’avoir peur.




- Les Caraïbes ? Le "Jardin des émeraudes" ? Tu parles : il a pris ces photos à l'aquarium de La Rochelle ! 
 - Quel hâbleur !
- Hâbleur ? Mystificateur, oui !
- Mais Paulette alors ?
- La reine des paupiettes !
- Mais La Rochelle ? C'est aux Caraïbes ? Je croyais que c'était en Espagne ?
- Tu confonds avec Rochefort.
- Et comment il a pu plonger dans un aquarium en Espagne ?
- Avec des palmes pour sûr...
- Le commandant Cousteau, il était espagnol ?
- Le requin n'attaque pas ¡ el hombre !
- L'omble n'attaque pas l'homme ?
- Je rentre à Levallois.

dimanche 26 février 2012

Quelques grammes de plomb (dans le pistolet de Robert Ford)


Les années de routine ont bon dos. Je me suis raconté que nous étions revenus de tout, que même t’emmener danser était devenu une corvée. Alors, comme au casino, j’ai jeté mes cartes sur la table : “Donnez-moi un jeu neuf !”
Je ne t’ai pas ménagée. Je t’ai couchée, comme au champ la faux couche l’épi. Je t’ai sonnée comme la brute sur le ring sonne son adversaire par surprise. Je me revois marchant vers ma bagnole comme un petit soldat. Je n’ai même pas eu le courage de me retourner, de te regarder dans les yeux. Mais il y a une chose que j’avais bien comprise : je venais de perdre à jamais ce que je ne n’avais même pas encore été fichu de trouver.

J’ai l’impression d’être un enfant dont on vient de piétiner les jouets, un enfant qui vient de faire éclater la bulle magique. La bulle où nous vivions tous les deux. Et si tu savais ce que je m’en veux. Les amis, les tiens, les miens... Les premiers temps, leurs regards me fusillaient. Mais maintenant, même plus de regards : ils ont disparu du paysage, ils sont aux abonnés absents. J’ai d’abord pensé que c’était mieux ainsi. Mais à présent j’ai l’impression d’être marqué : un genre de lettre écarlate ! À croire que, pour la société, il vaut mieux faire un casse que casser son couple.

J’ai l’impression que je ne vaux guère mieux que quelques grammes de plomb dans le pistolet de Robert Ford. Je me sens aussi vil qu’un tueur à gages, aussi dépourvu de sentiments que la lame de l’assassin.
Je me sens minable.
Est-ce qu’on peut encore recoller les morceaux ?
Je ne sais plus où j’en suis.
Quand je pense à toi, quand je pense à nous, j’ai l’impression de ne pas valoir mieux que ça : quelques grammes de plomb dans le pistolet de Robert Ford.

Like a corn in a field I cut you down
I threw the last punch too hard
After years of going steady, well I thought that it was time
To throw in my hand for a new set of cards

And I can't take you dancing out on the weekend
I figured we'd painted too much of this town
And I tried not to look as I walked to my wagon
And I knew then I had lost what should have been found
I knew then I had lost what should have been found

And I feel like a bullet in the gun of Robert Ford
I'm low as a paid assassin is
You know I'm cold as a hired sword
I'm so ashamed, can't we patch it up ?
You know I can't think straight no more
You make me feel like a bullet honey in the gun
In the gun of Robert Ford

Like a child when his toys have been stepped on
That's how it all seemed to me
I burst the bubble that both of us lived in
And I'm damned if I'll ever get rid of this guilt that I feel

And if looks could kill then I'd be a dead man
Your friends and mine don't call no more
Hell, I thought it was best but now I feel branded
Breaking up's sometimes like breaking the law
Breaking up's sometimes like breaking the law

And I feel like a bullet in the gun of Robert Ford
I'm low as a paid assassin is
You know I'm cold as a hired sword
I'm so ashamed, can't we patch it up ?
You know I can't think straight no more
You make me feel like a bullet honey in the gun
In the gun of Robert Ford


Bernie Taupin - I feel like a bullet (in the gun of Robert Ford)

Mis en musique et interprété par Elton John - Extrait de l’album “Rock of the westies”, 1975, éditions Carrère, réf. CA 802 96.090.
Traduction libre : Shaki Pelott.
Photographie extraite du film "L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford". Auteur inconnu.

dimanche 5 février 2012

EXCLUSIF ! JERRY VAN DOGH : "J'ENSEIGNE POUR ÊTRE UTILE."

Shaki Pelott : Jerry, tout d’abord merci d’avoir accepté cet entretien : le premier que vous accordez à un blog européen ! Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment vous en êtes venu à consacrer votre vie au sourire en coin ? La genèse d'une passion ?
Jerry van Dogh : C’est très simple. Karl Lagerfeld ayant jeté son dévolu sur le catogan sans le sourire et le chat du Cheshire s’étant approprié le sourire sans le catogan, il ne restait plus en rayon que le sourire en coin !
S. K. : Vous auriez pu hésiter. Après tout, c’était ce que l’on peut appeler un sacré “challenge”.
J. v. D. : On peut le dire. La réussite n’était pas évidente.
S. K. : Quel est le secret de cette réussite ?
J. v. D. : J’ai beaucoup travaillé. J’ai commencé bien sûr par dévorer tous les ouvrages sur le sujet écrits par Edmond Rattier et Lisette Meyreuil. Et puis je suis allé à Hokaïdo, et là j’ai eu la chance de rencontre le maître Chow Chow, un des derniers grands maîtres du sourire en coin. Il était au soir de sa vie, et il m’a accepté comme disciple, et plus encore, comme héritier spirituel. Saviez-vous qu’en japonais huron ancien, “ho - kaï - do” signifie littéralement “la voie du sourire en coin” ?
S. K. : Non, mais je sais que bonne renommée vaut mieux que obi doré. Aujourd’hui vous avez choisi d’enseigner le sourire en coin. Pourquoi ce choix ? Vous auriez très bien pu vous contenter de vivre de vos rentes ?
J. v. D. : En effet, j’aurais pu me contenter des royalties que me rapporte le sourire en coin et me la couler douce sur une île paradisiaque. J’ai choisi d’enseigner tout simplement parce-que j’avais envie d’être utile. Oui, c’est ça je crois : j’enseigne pour être utile.
S. K. : Vous rappelez-vous votre premier élève ?
J. v. D. : Bien sûr. Nous sommes restés très amis. C’est un berger figurez-vous.
S. K. : Un berger ?
J. v. D. : Oui, je l’ai rencontré lors d’une randonnée en Forêt Noire.
S. K. : Un berger allemand ?
J. v. D. : Précisément. Il avait un gros problème avec le sourire. Il avait tendance... comment dire... à vite “montrer les dents” ! L’apprentissage du sourire en coin a été pour lui comme une porte qui s’ouvrait sur une autre dimension, une philosophie du pardon, une découverte du lâcher-prise. La brebis s’écarte du troupeau ? Eh bien tant pis, je ne la poursuis pas en aboyant, je m’assieds sur mes pattes de derrière et  je souris en coin : elle retrouvera son chemin toute seule.
S. K. : D’autres élèves vous ont laissé un souvenir particulier ?
J. v. D. : En Bretagne, un jeune qui je crois était d’origine espagnole.
S. K. : Un espagnol breton ?
J. v. D. : Oui. Je crois qu’on dit cela, un espagnol breton, enfin quelque chose comme ça il me semble. Il était sympathique mais un peu “tout fou”, imprévisible. Très sportif. Il adorait poursuivre les cyclistes et, pour reprendre sa propre expression, les “chiquer au mollet” pour les faire chuter. Certains prenaient mal la chose. La maîtrise du sourire en coin lui a permis de les désarmer.
S. K. : Pas d’éléments féminins dans vos effectifs ? Vous n’avez pas peur que l’on vous reproche de ne pas respecter la parité (rire) ?
J. v. D. : (rire) Non, je ne crains rien de ce côté. Tenez, j’ai gardé de très bonnes relations avec une charmante pékinoise. Elle était complexée par sa petite taille. Je lui ai appris le sourire en coin et elle est partie à Hollywood où elle est devenue une star ! Il n’est pas impossible que l’empreinte de sa patte soit bientôt sur le trottoir de Hollywood Boulevard.
S. K. : Incroyable ! Jerry, accepteriez de donner une leçon de sourire en coin à nos lectrices et à nos lecteurs ? Une photo ? Qui sait si cela ne les aidera pas à devenir des stars ?
J. v. D. : D’accord, pas de problème. Je vous fais une petite démonstration.
S. K. : Merci Jerry. Vous n’avez pas volé votre réputation de grand seigneur du sourire en coin.


Jerry van Dogh se prête au jeu des photographes et offre à nos lecteurs une démonstration de son célèbre sourire en coin.

© Shaki Pelott et la Voie du Sourire en Coin.
Photographie : Shaki Pelott.




dimanche 22 janvier 2012

Train ou trottinette ?


L’achat d’un véhicule est l’objet d’un choix parfois difficile. Pour être sûr de ne pas se tromper, il convient de prendre le temps de réfléchir, ne pas se précipiter, et de se rappeler que le coup de coeur d’aujourd’hui ne sera peut-être pas le plus utile aux besoins de demain.

Les deux moyens de locomotion les plus prisés des français sont sans conteste le train et la trottinette. L’idéal serait bien sûr d’acquérir l’un et l’autre, mais pour une question évidente de place dans le garage, cela n’est pas possible. Il faut donc faire un choix. En passant en revue avantages et inconvénients de chaque solution, nous allons essayer de vous y aider : tel est l’objet cet article, le premier d’une série orientée “vie pratique”.


Commençons par la trottinette. Relativement peu coûteuse à l’achat, légère, peu gourmande lors du passage à la pompe (il n’y a pas même besoin de décrocher le pistolet), elle ne ruinera pas son propriétaire, même en prenant en compte l’entretien et les révisions, qui consistent essentiellement en un contrôle de pression des pneus et un coup d’éponge tous les vingt mille kilomètres (ce qui peut raisonnablement être confié à un jeune voisin plus courageux que nous, moyennant le prix d’une place de ciné et d’un paquet de pop corn). La trottinette ne craint pas les intempéries : tout juste par temps de verglas sera-t-il préférable de tout simplement marcher en la poussant. Elle permet d’emmener un passager ou une passagère dans des conditions de confort tout à fait acceptables. Et en parlant de passagère, la trottinette fait son petit effet à la terrasse des cafés et nombreuses sont les demoiselles volontaires pour une petite balade : cela n’est pas négligeable. Alors, direz-vous, pourquoi hésiter ? Ce sera une trottinette !


Pas si vite !


La trottinette a quelques inconvénients. Eh oui. Le premier et sans doute le plus gênant est son absence de klaxon multi-tons. Difficile de briller en société sans passer en trombe dans les “zones silence” de nos villes au son joyeux de “Hello le soleil brille brille brille”. Bien sûr, cet accessoire peut être envisagé en option, mais avec l’indispensable alimentation qu’il faudra fixer sur la plate-forme derrière le conducteur, il pèsera plus lourd que la trottinette elle-même... et surtout interdira faute de place d’emmener une demoiselle en passagère ! Ensuite, la trottinette ne permet pas l’emport d’un rouleau de papier hygiénique élégamment caché dans un petit chien en peluche à tête mobile placé sur le plage arrière. Pourquoi ? Tout simplement parce-qu’une trottinette est dépourvue de plage arrière. Tout comme de plage avant d’ailleurs. Enfin, la trottinette n’a pas de portières : il ne sera donc pas possible de réveiller les voisins en les faisant claquer bruyamment lorsque l’on rentre très tard le soir.


Ces petits défauts ne sont somme toute pas rédhibitoires, mais il convient en tout état de cause de les prendre en compte.


Venons-en au train. S’il est un peu plus coûteux à l’achat, il a de quoi séduire. Son premier atout est bien sûr son wagon restaurant, qui permet de manger des frites et de la glace hollandaise en conduisant. Ensuite, il permet d’emmener non pas une, mais plusieurs dizaines de demoiselles en passagères. Enfin, il permet l’emport non pas d’un, mais de plusieurs tonnes de rouleaux de papiers hygiéniques élégamment cachés dans plusieurs tonnes de petits chiens en peluche à tête mobile. Et lorsque l’on rentre très tard le soir, on peut faire crisser les roues métalliques au freinage et réveiller un quartier entier sans avoir besoin de claquer les portières au risque de se coincer les doigts. Alors, direz-vous, pourquoi hésiter ? Ce sera un train !


Pas si vite !


Le train aussi a ses inconvénients. D’abord, il nécessite avant chaque voyage de poser des rails sur tout le trajet, ce qui peut se révéler fastidieux lors de voyages de plusieurs milliers de kilomètres. Ensuite, il nécessite l’embauche d’un chef de gare muni de son petit drapeau et de son sifflet. Bien souvent, le chef de gare exigera par contrat le gîte et le couvert, et ces débours sont à prendre en compte dans le budget prévisionnel, au risque de voir fondre les portions de glace hollandaise. Enfin, il est difficile, voire impossible, même avec du scotch, de convenablement fixer une queue de renard à l’arrière d’un train.


On le voit, là encore des petits défauts qui, pour ne pas être rédhibitoires, sont néanmoins dignes d’attention.


À présent, à vous de jouer. Pesez le pour, pesez le contre. Prenez votre temps. Faites votre choix et...


bonne route !

                     
                                           

© Shaki Pelott 2012.
Photographies : Shali Pelott.

mercredi 4 janvier 2012

Un oncle en hiver


Photographie : shaki pelott, qui souhaite une très bonne année 2012 à ses lectrices et lecteurs.